"Il n'y a rien à faire ici"

Vous les avez sûrement entendus, ces mots : peut-être même les avez-vous prononcés. Pour ma part, ils ont tinté plusieurs douzaines de fois à mes oreilles et je ne sis pas sûr de ne les avoir jamais lâchés.
C'est là, sous ces mots, que se cache la plus grande cause de notre inaction.
Quand quelqu'un déclare qu'il n'y a rien à faire chez lui, dans sa corporation, dans son quartier, dans son milieu régional, c'est justement que tout y est à faire. Oui, tout absolument tout, et qu'il n'y a personne pour le faire.
Ceux qui auraient velléité de s'employer, de se dévouer à quelque chose ne se rendent pas compte de la tâche qui est devant eux, ne voient pas où porter leur efforts.

Avant d'empoigner la pioche et la truelle, on fait un plan, on dresse un devis. Faute de cette étude préparatoire, on s'échinerait en pure perte, recommençant dix fois la même besogne, détruisant le lendemain ce qu'on avait ébauché la veille, se décourageant soi-même et décourageant autrui.
Ce que nous aurons à faire, au point de vue syndical, il faut de même le mesurer, en dresser comme la carte. Ensuite chercher par quel bout le prendre et de quelle manière la meilleure.

Voilà de l'ouvrage, tout de suite, pour ceux de nos camarades qui souffrent dans leur coin de n'être utile à rien. De quoi absorber leurs loisirs, écourter même leurs nuits pendant deux ou trois mois. Travail qui les paiera largement de leurs peines de recherche, d'étude, de réflexion par la connaissance profonde qu'ils acquerront de leur milieu et par l'aide qu'ils apporteront à leur entourage.
Qu'il se trouve, dès maintenant, dans chaque fédération professionnelle, dans chaque union départementale un camarade, qu'il s'en trouve plusieurs, qu'il s'en trouve vingt, mais qu'il s'en trouve au moins un pour écrire la monographie de son industrie ou de son département et demain.

Si nous savions faire ce travail, nous aurions préparé nos labours. Viendraient les semailles, sitôt la guerre finie. Un homme suffit, dans le champ nu, pour guider la charrue ; un homme encore pour ensemencer. C'est seulement quand le blé a poussé, quand il est mûr qu'il faut des bras vigoureux pour le couper, le ramasser et le battre. Mais à mesure que notre blé poussera, la confiance aussi sortira de terre, grandira vite et les moissonneurs ne manqueront pas. Les plus incrédules de la veille seront parmi les plus ardents.

Il s'agit de trouver les laboureurs qui, dans le froid glacial de l'indifférence, traceront les premiers sillons et prépareront la terre. Ils existent, nous le savons. Notre cri d'appel arrivera-t-il jusqu'à eux ?

Pierre Monatte, Eglingen, 15 juin 1917


Pierre Monatte a aussi crée le journal "La Vie ouvrière"

 

 

 

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