"Il n'y a rien à faire ici" Vous les avez sûrement entendus, ces mots : peut-être
même les avez-vous prononcés. Pour ma part, ils
ont tinté plusieurs douzaines de fois à mes oreilles
et je ne sis pas sûr de ne les avoir jamais lâchés. Avant d'empoigner la pioche et la truelle, on fait un plan,
on dresse un devis. Faute de cette étude préparatoire,
on s'échinerait en pure perte, recommençant dix
fois la même besogne, détruisant le lendemain ce
qu'on avait ébauché la veille, se décourageant
soi-même et décourageant autrui. Voilà de l'ouvrage, tout de suite, pour ceux de nos
camarades qui souffrent dans leur coin de n'être utile
à rien. De quoi absorber leurs loisirs, écourter
même leurs nuits pendant deux ou trois mois. Travail qui
les paiera largement de leurs peines de recherche, d'étude,
de réflexion par la connaissance profonde qu'ils acquerront
de leur milieu et par l'aide qu'ils apporteront à leur
entourage. Si nous savions faire ce travail, nous aurions préparé nos labours. Viendraient les semailles, sitôt la guerre finie. Un homme suffit, dans le champ nu, pour guider la charrue ; un homme encore pour ensemencer. C'est seulement quand le blé a poussé, quand il est mûr qu'il faut des bras vigoureux pour le couper, le ramasser et le battre. Mais à mesure que notre blé poussera, la confiance aussi sortira de terre, grandira vite et les moissonneurs ne manqueront pas. Les plus incrédules de la veille seront parmi les plus ardents. Il s'agit de trouver les laboureurs qui, dans le froid glacial de l'indifférence, traceront les premiers sillons et prépareront la terre. Ils existent, nous le savons. Notre cri d'appel arrivera-t-il jusqu'à eux ? Pierre Monatte, Eglingen, 15 juin 1917 Pierre Monatte a aussi crée le journal "La Vie ouvrière" |
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