détatouage

 Détatouage extrait d'un texte d'
Albert Londres
 Autres pages sur le tatouage

[...] Une peuplade non représenté à la SDN. Ses tentes sont au coeur de la ville. Si vous préférez, ayant trouvé le coeur de la ville entre les vieux quais, la Bourse et l'opéra, les indigènes dont je vous parle se sont répandus autour de lui comme de la crème.
La race de ces individus n'est pas très pure.
Ethnologiquement, on tâtonne sur son origine.
Ces gens parlent des langues différentes et n'ont pas beaucoup de religion.
Jusqu'ici,, on n'a pas remarqué qu'ils fussent anthropophages.
Ce sont les tatoués.

Un après-midi qu'il faisait soleil, je ne fus pas sans ressentir de l'étonnement lorsque je vis qu'un antitatoueur hissait son drapeau de combat en pleine forteresse des tatoués.
C'était le missionnaire prêchant les idolâtres.
Son sermon était court et imprimé.
Il l'avait affiché sur l'écorce des arbres de la cité "tatoue". Il disait :
"Tatoués, détatouez-vous. Sans repiquez, sans douleur, sans cicatrices. L'inventeur opère lui-même. Je m'appelle d'Aignan d'Aix. Je vous crie la vérité. Venez à mon temple, 49, cours Belsunce. Vos péchés, à prix réduits, vous seront remis. Malgré l'apposition de mes huiles saintes, s'il y a lieu à des retouches".
L'apôtre, comme tous les apôtres, prêchait dans le désert.
Se trouvant bien au chaud dans leurs tatouages, les tatoués passaient sans entendre le cri du détatoueur.
Et cet homme, pensais-je, mériterait déjà un autel !
C'est alors que je décidai de me rendre en personne à la maison du bienfaiteur méconnu.

L'homme qui promettait à ses frères d'effacer de leur corps des marques ineffaçables me paraissait être un nouveau messie.
Le numéro 49 du cours Belsunce était bien un hôtel, mais il était meublé.
Je gravis dignement le premier étage, et l'on me proposa tout de suite une chambre pour un moment.
Sans attendre, je fis connaître que mes intentions étaient pures et que je venais seulement voir le grand détatoueur.
On me répondait qu'il était en face, au café, avec son chien.
Il avait, me dit-on, les cheveux blancs, un habit ordinaire, mais son chien était de chasse.
Je descendis l'étroit escalier et, tout en traversant le cours, j'interrogeai le café d'en face.
Je vis tout de suite le chien de chasse, l'habit ordinaire et les blancs cheveux.

M'avançant, je saluai l'évangéliste :
- Monsieur, lui dis-je, c'est bien vous qui luttez contre une religion barbare ?....
- Contre une religion barbare ?
- Je veux parler de la secte des tatoués.
- Oui, fit-il, c'est moi qui détatoue.
Avec sa permission, je m'assis à sa table.
-Qu'avez-vous, me demanda-t-il : un oiseau, un coeur, une bague, une pensée, une ancre, des yeux, des initiales, un serpent, un Napoléon ?
- Un napoléon ? peut-être voulez-vous dire un louis, soit vingt francs ?
- Non, mon ami, pour un Napoléon, surtout s'il tient toute la poitrine, c'est cinq cents francs.
- Il ne s'agit pas d'un Napoléon.
- Une Marianne ? Quelle grandeur ? dans le dos ou sur le torse ?
- Ni l'un ni l'autre, je ne fais pas de politique.
- Vous avez sans doute un coeur ?
- Evidemment.
- C'est de cinquante à deux cents francs, les coeurs, suivant la dimension.
- Mais je n'ai pas de coeur !
- C'est une pensée ?
- Non, je n'ai jamais eu de pensée. Mais si c'était un serpent ?
- Les serpents vont chercher jusq'à mille francs. Songez qu'il y a des serpents qui prennent au cou, enroulent deux fois le buste avant d''arriver au nombril et finissent au doigt de pieds.
- Eh bien ! je n'ai pas de serpent !
- Le refrain de l'internationale, peut-être ? Avec ou sans musique ? [...]

 


Marseille, porte du sud, 1927 (chapitre 8 : Le grand détatoueur)

 

 

 

 

 

 

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