[...] Une peuplade non représenté
à la SDN. Ses tentes sont au coeur de la ville. Si vous
préférez, ayant trouvé le coeur de la ville
entre les vieux quais, la Bourse et l'opéra, les indigènes
dont je vous parle se sont répandus autour de lui comme
de la crème.
La race de ces individus n'est pas très pure.
Ethnologiquement, on tâtonne sur son origine.
Ces gens parlent des langues différentes et n'ont pas
beaucoup de religion.
Jusqu'ici,, on n'a pas remarqué qu'ils fussent anthropophages.
Ce sont les tatoués.
Un après-midi qu'il faisait soleil,
je ne fus pas sans ressentir de l'étonnement lorsque je
vis qu'un antitatoueur hissait son drapeau de combat en pleine
forteresse des tatoués.
C'était le missionnaire prêchant les idolâtres.
Son sermon était court et imprimé.
Il l'avait affiché sur l'écorce des arbres de la
cité "tatoue". Il disait : "Tatoués, détatouez-vous. Sans
repiquez, sans douleur, sans cicatrices. L'inventeur opère
lui-même. Je m'appelle d'Aignan d'Aix. Je vous crie la
vérité. Venez à mon temple, 49, cours Belsunce.
Vos péchés, à prix réduits, vous
seront remis. Malgré l'apposition de mes huiles saintes,
s'il y a lieu à des retouches".
L'apôtre, comme tous les apôtres, prêchait
dans le désert.
Se trouvant bien au chaud dans leurs tatouages, les tatoués
passaient sans entendre le cri du détatoueur.
Et cet homme, pensais-je, mériterait déjà
un autel !
C'est alors que je décidai de me rendre en personne à
la maison du bienfaiteur méconnu.
L'homme qui promettait à ses frères
d'effacer de leur corps des marques ineffaçables me paraissait
être un nouveau messie.
Le numéro 49 du cours Belsunce était bien un hôtel,
mais il était meublé.
Je gravis dignement le premier étage, et l'on me proposa
tout de suite une chambre pour un moment.
Sans attendre, je fis connaître que mes intentions étaient
pures et que je venais seulement voir le grand détatoueur.
On me répondait qu'il était en face, au café,
avec son chien.
Il avait, me dit-on, les cheveux blancs, un habit ordinaire,
mais son chien était de chasse.
Je descendis l'étroit escalier et, tout en traversant
le cours, j'interrogeai le café d'en face.
Je vis tout de suite le chien de chasse, l'habit ordinaire et
les blancs cheveux.
M'avançant, je saluai l'évangéliste
:
- Monsieur, lui dis-je,
c'est bien vous qui luttez contre une religion barbare ?....
- Contre une religion barbare ?
- Je veux parler de la secte des tatoués.
- Oui, fit-il, c'est moi qui détatoue.
Avec sa permission, je
m'assis à sa table.
-Qu'avez-vous, me demanda-t-il : un oiseau, un coeur, une bague,
une pensée, une ancre, des yeux, des initiales, un serpent,
un Napoléon ?
- Un napoléon ? peut-être voulez-vous dire un louis,
soit vingt francs ?
- Non, mon ami, pour un Napoléon, surtout s'il tient toute
la poitrine, c'est cinq cents francs.
- Il ne s'agit pas d'un Napoléon.
- Une Marianne ? Quelle grandeur ? dans le dos ou sur le torse
?
- Ni l'un ni l'autre, je ne fais pas de politique.
- Vous avez sans doute un coeur ?
- Evidemment.
- C'est de cinquante à deux cents francs, les coeurs,
suivant la dimension.
- Mais je n'ai pas de coeur !
- C'est une pensée ?
- Non, je n'ai jamais eu de pensée. Mais si c'était
un serpent ?
- Les serpents vont chercher jusq'à mille francs. Songez
qu'il y a des serpents qui prennent au cou, enroulent deux fois
le buste avant d''arriver au nombril et finissent au doigt de
pieds.
- Eh bien ! je n'ai pas de serpent !
- Le refrain de l'internationale, peut-être ? Avec
ou sans musique ? [...]
Marseille, porte du sud, 1927
(chapitre 8 : Le grand détatoueur)
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