Le droit du travail : les dangers de son ignorance
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On peut, dans cette catégorie citer les journaux, dont certains grand tirage, où une rubrique régulière, du type " connaître ses droits " est tenue par des journalistes plus ou moins spécialisés (1) sur tel ou tel domaine, et qui sont en l'occurrence amenés se pencher sur des questions de droit du travail. Par ailleurs, beaucoup de périodiques estiment utile de donner a priori des informations de nature juridique et sociale leurs lecteurs, ou d'apporter des réponses à des questions ponctuelles, avec tous les risques d'interprétation erronée en l'absence de précisions sur le contexte et face l'impossibilité d'une appréhension entière.
Il ne s'agit pas ici de donner un jugement de valeur sur la qualité des informations et conseils donnés - parfois simplement incomplets, parfois hautement contestables -, mais de constater que ces rubriques ne peuvent que correspondre un besoin réel, qui conforte le postulat central du rapport.
Enfin, le développement d'Internet et des multiples possibilités qu'il offre, permet, par le biais de nombreux sites mis en place par des professionnels de la presse écrite et audiovisuelle, une information pratique accessible rapidement.
Les autres vecteurs d'information
1. L'éducation nationale et la formation initiale.
L'éducation nationale, au travers de son objectif de concourir la formation de citoyens - une des missions fondamentales du système éducatif - représente également un des acteurs de la diffusion de l'information sur le droit du travail et d'initiation la vie économique. C'est dans le cadre des nouveaux programmes d'Education civique, juridique et sociale (ECJS) mis en place progressivement depuis 1995 dans les collèges puis dans les lycées, que sont abordées la fois la conceptualisation de certaines notions telles que la citoyenneté, la démocratie, les droits de la personne (dont le droit du travail), et une initiation juridique orientée sur le "pourquoi " du droit dans ces domaines, alors que jusqu'ici le droit était absent des cours de l'enseignement général.
Il s'agit ici non d'enseigner le droit dans ses techniques, qui font l'objet de disciplines part entière dans les enseignements supérieurs, mais de permettre de découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés. C'est donc bien une initiation, une sensibilisation au droit et non un enseignement en tant que tel. C'est, par exemple, dans le cadre du thème "citoyenneté et travail" (2) figurant au programme des enseignements de la classe de seconde générale et technologique et de ceux du lycée professionnel, que pourront être étudiés certains points du droit du travail, comme le contrat de travail, le salaire, l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail ou encore le droit syndical.
Mais cette d*marche ne peut rester, en l'état actuel des moyens qui lui sont alloués, que très modeste. En effet, seulement une heure par semaine au collège (ramenée une heure tous les quinze jours au lycée) est consacrée l'éducation civique et le droit du travail figure parmi les innombrables autres sujets qui demeurent en tout état de cause du libre choix au final de l'enseignant.
2. Les professions réglementées dans le domaine du droit
Parmi les autres acteurs participant la diffusion d'informations en matière de droit du travail, les avocats constituent de toute évidence un relais important tant pour les employeurs que pour les salariés, même si ces derniers ont plus souvent recours leurs services pour leur défense à l'occasion d'un contentieux que pour une simple information ou un conseil. Les avocats constituent également une ressource non négligeable des organisations professionnelles.
Il faut rappeler ce sujet que la loi (1) a renforcé le rôle des avocats dans ce domaine. D'une part, elle a réformé les professions judiciaires et juridiques, en particulier en fusionnant les professions d'avocat et de conseil juridique au sein d'une unique "nouvelle profession d'avocat ".
D'autre part, elle a réglementé de manière plus précise la consultation en matière juridique, désormais réservée aux titulaires d'une licence en droit ou possédant une compétence juridique reconnue par la loi (2), tout en laissant cependant une certaine souplesse dans la diffusion de renseignements et informations caractère documentaire. Aussi peut-on se demander si, en matière de droit du travail, le système actuel ne favorise pas les professions réglementées ou apparentées, en conduisant, en quelque sorte, à faire de ces professions les seuls détenteurs d'un " droit au Droit ", notamment en écartant les militants syndicaux, mais aussi d'autres bonnes volontés - dans les associations -, de la faculté de prodiguer une aide juridique.
Le recours aux services d'un avocat, ou cabinet d'avocats, spécialisé en droit social semble aujourd'hui de plus en plus fréquent. L'apparition de nouvelles normes (3), dont la complexité s'amplifie pour répondre à l'évolution, non moins complexe, de la société, entraîne un besoin grandissant de consultations juridiques. Le risque de contentieux portés devant les tribunaux pour non-respect de régles de procédure, par exemple, conduit les employeurs à s'entourer d'un maximum de garanties en faisant appel des spécialistes du droit du travail. De leur côté, un nombre non négligeable de comités d'entreprise bénéficie d'une assistance juridique dans le cadre d'un abonnement auprès de ces cabinets (4).
Les différents éléments qui précèdent démontrent bien que le droit du travail est généralement peu connu ou mal connu, quand ce ne sont pas des pans entiers de cet ensemble de règles qui sont ignorés. Hors spécialistes, le constat peut en être fait, du simple salarié aux plus hauts dirigeants du secteur privé ou public. Les raisons de cette ignorance sont multiples et sans doute souvent excusables, mais en elle-même, l'ignorance est aliénante, dans le domaine du droit du travail comme dans les autres. Elle n'est évidemment pas neutre en ce qui concerne les relations sociales, mais elle porte aussi en germe nombre de problèmes potentiels, tant pour les entrepreneurs que pour les salariés. Il est donc nécessaire de réfléchir plus avant quant aux moyens propres à lever les obstacles qui s'opposent à une meilleure connaissance de ce droit ou qui en empêchent une appropriation satisfaisante.
CAUSES ET CONSEQUENCES D'UN DROIT MECONNU
COMPRENDRE LES RAISONS DE LA MECONNAISSANCE OU DE L'IGNORANCE
A l'évidence, l'ignorance de la matière juridique n'est pas plus grande pour le droit du travail que pour d'autres législations, mais un certain nombre d'éléments spécifiques permettent de mieux comprendre les raisons de cette méconnaissance ou de cette ignorance et méritent à ce titre d'être soulignés.
STRUCTURATION DU MONDE DU TRAVAIL
Si pendant la plus grande partie du XXe siècle, le monde du travail est apparu clairement structuré - un employeur, un lieu de travail, un statut de salarié, un emploi souvent à vie dans la même entreprise ou, tout au moins dans la même région - les contours de chacune de ces entités s'avèrent aujourd'hui de moins en moins aisés à déterminer de façon certaine et précise. C'est dans le contexte de la fin des trente glorieuses, de la crise de l'emploi, de l'internationalisation puis de la mondialisation des échanges marchands, et de l'arrivée de nouvelles technologies qu'ont évolué et se sont diversifiées les formes jusqu'ici traditionnelles du statut du salarié, et de l'employeur et de la structure de l'entreprise. Face la multiplication des facettes que peut prendre la relation de travail, toujours plus nombreuses, le droit du travail a cherché à prendre en compte les différents cas de figure et s'adapter ces nouvelles exigences.
De fait, la connaissance du droit du travail se trouve ainsi sensiblement plus difficile mettre en oeuvre.
1. Développement et diversification du salariat
Le salariat, parent pauvre du monde du travail jusqu' la fin du XIXe siècle, où il était considéré, parmi les situations " les plus incertaines, et aussi les plus indignes et les plus misérables " (1) , est devenu un véritable statut social au bénéfice d'une population de quinze millions de salariés (2) , représentant 88 % de la population active. A l'origine essentiellement ouvrière, la société salariale se trouve aujourd'hui éclatée, avec deux tiers de salariés d'exécution, ouvriers et employés et un tiers de salariés dans les catégories intermédiaires et supérieures.
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