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Du communisme en création

Les semaines de conflits autour des annexes 8 et 10 questionnent le monde de la création sous un jour nouveau. Puisque la matraque existe belle et bien, et que le monde a déjà basculé, à quel jeu jouons-nous ? Nous les « autoproclamés artistes », nous les « financés pour mission de service public culturel », à quoi jouons-nous ? Pour qui ? Comment ?

Puisqu'on nous somme d'être rentable, devons-nous l'être ? Et sinon, devons nous être « service public », service d'Etat, payer par tous (impôt direct et indirect) pour quelques uns (10 à 15 %) ? Y a t'il des arts rentables et d'autres pas ? Le cinéma peut t'il, doit t'il dégager des marges ? Et la télé ? Oui, la télé est t'elle condamnée à être une marchandise et nous une tour d'ivoire ? Puisque je veux mettre l'art et la poésie au cur du monde, pourquoi, de festival en collectivités locales, je cherche à vendre du spectacle comme d'autres des voitures ? Pourquoi à présent sommes-nous divisés ? Pourquoi les gros et les petits ? Pourquoi ai-je accepté jusqu'ici cette vaste foire et pourquoi à présent suis-je debout ? Pourquoi je doute ?

Oui, je doute, et nous sommes des milliers, à douter qu'il faille continuer à travailler comme hier. Alors pour moi, le communiste à titre individuel (merci Bernard), le vide politique, de nous autres mais aussi du (de la) politique, m'ai apparu abyssal. L'absence de toute espérance en un futur meilleur (mais aussi cette même espérance déconnectée de nos choix quotidiens) fait disparaître jour après jour la remise en doute de la réalité, la remise en route de demain. Le formidable mouvement de cet été, par la construction d'une véritable lutte syndicale, a permis de faire apparaître des lignes de fracture politique. Il a également permis la rencontre et le dialogue à une très grande échelle. Et enfin, les nombreux questionnements à présent en chantier (ci-avant brièvement listés) ont un mérite politique immense : ils remettent la question politique dans le bon sens, ils nous font commencer par les fins.
Dans le monde artistique, ce renversement peut apparaître salutaire. Combien d'artistes prétendent-ils mettre l'homme au coeur de leurs démarches et se voient à présent au coeur d'un système dont ils ne veulent pas (ou plus)? Ils savent que leurs mots n'ont pas suffi. Pire, ils se voient cautions d'un Etat garant de l'ordre moral et financier.
Pouvons-nous arrêter de continuer ? Comment faire du communisme en création ?

Ne comptez pas sur moi pour avoir une réponse à ces questions. La seule réponse est le chemin humain et théorique que nous avons décidez d'engager ensemble en communiste autour de la question culturelle et artistique.

Quelques pistes ressenties ou expérimentées pourraient nourrir notre réflexion collective. Peu à peu les artistes se sont dessaisis des processus économiques et culturels qui mènent à la production artistique. De chargés de productions en médiateurs culturels, un glissement organisationnel souvent inconscient a mené à une répartition des tâches : aux artistes l'art, aux producteurs la production, aux médiateurs la relation avec le public. Cette analyse est partielle et mériterait de nombreux exemples et contres exemples. Elle est pourtant pour moi le révélateur de 3 faits primordiaux à un regard communiste en création.

Tout d'abord, cette répartition des rôles dévoile une répartition du pouvoir. La plus-part des structures artistiques françaises sont gérées sans aucunes formes de démocratie. Il faut bien entendu une grande liberté à un créateur pour créer mais quand cette liberté signifie absence de dialogue et parfois despotisme, ce sont les hommes et très vite les structures qui sont en danger. Choix économiques aberrants et pharaoniques, postes administratifs contraints à une quête éreintante de financement, personnels artistiques et techniques exclus des décisions cruciales, le monde artistique, qui sait si bien faire de la politique sur scène, est un analphabète de la réalité. Pour moi, il est temps de briser ce tabou. Le partage du pouvoir et de la responsabilité, la démocratie et l'autogestion sont urgents pour construire d'autres possibles, dans toutes les entreprises y compris artistiques et à fortiori financées par les contribuables

Ensuite, l'absence de démocratie entraîne l'absence de réflexion sur les choix économiques qui elle-même en dit long sur la naïveté et l'aveuglement contemporains autour de l'argent. En déconnectant les champs artistiques, culturels et administratifs, on prive l'artiste de toute remise en doute du fonctionnement interne des structures (répartition des salaires, des tâches) mais surtout de sa place dans la société. Si chacun a son avis sur le prix des places, le montant des subventions, la politique du théâtre qui accueille, à aucun moment ces questions ne peuvent être débattues : à chacun son travailEt voilà comment l'artiste est dessaisi de ce qui le constitue. A qui s'adresse t'il et comment ? Pour certains l'argent n'a pas d'odeur. Pour nous les communistes, il en a une. Dans le monde culturel, l'argent manque cruellement. Quand il est là, il ne sent pas toujours la rose. A l'heure de la décentralisation, il y a urgence à questionner en profondeur les mécanismes économiques qui gouvernent dans nos professions.

Enfin, ce dessaisissement démocratique et politique est le ferment d'un dessaisissement plus général sur les fins « artistiques » de nos professions. De fil en aiguille, l'artiste se consacrant à l'uvre, la création ne questionne plus le fait qu'elle est un acte social, un fait social. L'opposition stérile entre d'un côté les artistes « socioculs » et de l'autre les « Artistes » (avec un grand A), ne saurait amener aucune issue humaine ou théorique. L'heure est au métissage (ou mieux à la créôlité). Déjà de multiples expériences montrent que l'on peut être artistes dans la cité avec rigueur et humanité. Les communistes, et particulièrement les élus communistes, doivent être porteurs de ce « déjà là ». Ils doivent soutenir tous les espaces où l'art se désaliène, où il n'est déjà plus de classe, où la démocratisation des pratiques comme axe de travail devient vite le ferment de la démocratie dans la société et de l'émancipation individuelle.

En ce domaine, comme en beaucoup d'autres, il est fertile pour le communisme de se questionner sur les finalités. Qu'est ce qui fait de nous des hommes ? Que voulons-nous au fond ? Je veux dire à part l'augmentation des budgets et la défense du « statut ». Pour redonner du sens, il faut se battre pied à pied contre ce système qui nous broie, mais il faut aussi de l'espoir et de la confiance, de l'audace et de la controverse, des récits et des projets.

 

Laurent Eyraud
Comédien

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