Voici des extraits d'un livre de Georges Navel, ou j'ai decouvert qu'il y avait des saisonniers syndiqués avant-guerre. En suivant avec la souris ce que vous lisez, vous tomberez sur un lien, cliquez dessus et vous verrez bien...

(Page 247)
Je gagnais mieux ma vie à Paris qu'ailleurs. Gagner sa vie, c'est important. La semaine de quarante heures, obtenue grâce à l'union syndicale, avait rendu la condition ouvrière plus supportable. Malgré les menaces de guerre, l'alerte des mobilisations répétées, Paris, depuis 1936, faisait plus d'enfants. Les ouvriers avaient confiance dans l'avenir. Le monde ne serait pas toujours absurde. La jeunesse des usines, plus belle qu'autrefois, plus intelligente, plus vivante, se délivrait de la déchéance physique de travail claustré, dans les jeux de plein ait, le camping, grâce aux quarante heures. Malgré la fatigue des fins de journées, l'usine me semblait appartenir déjà à un monde neuf, à un monde plus gai. L'usine un jour serait à nous. Nous ne travaillerons plus pour la guerre. Je me sentais lié aux hommes qui m'entouraient par une communauté d'espoirs. Ils étaient sortis de leur indifférence, de leur passivité. Comme jamais, je me sentais enfin avec des semblables, des ouvriers devenus conscients.
Il y a une tristesse ouvrière dont on ne guérit que par la participation politique. Moralement, j'étais d'accord avec ma classe.

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TRAVAUX




(p 210)
J'acceptais la vie, je voulais savoir même plusieurs fois par nuit, que j'étais au monde. Je voulais aimer la réalité, n'y pas couper. Il n'y a pas d'autre monde. Ma réalité, c'était le travail. J'acceptais. Travailler pour la société et non pas pour un parasite quelconque ça m'aurait plu. En attendant, je ne voulais pas faire du travail une pénitence, une malédiction. J'oublierais plutôt que je gagnais peu et combien la société est mal faite. Le gars pour lequel je travaillais, je préférais penser qu'il mourrait comme moi, que si les hommes n'ont pas la fraternité d'un but, l'humanisation de la société, ils en ont une autre, celle de la mort, que l'homme avec tous ses faux billets et ses actes notariés ne possède que sa peau et ses sensations fugitives, du vide. Et le travail en fin de compte, dans une durée raisonnable, ne m'était pas désagréable. Celui qui avait dit : " Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ", n'avait pas tout dit. On pouvait relever le défi et faire du travail une joie.

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(page 46)
Lyon.
Mon frère Lucien, réformé, était revenu parmi nous. Un soir je le suivis à une réunion à l'union dees syndicats où une poignée de militants se rencontraient. Ils parlaient bien, ils étaient cordiaux, sans mépris avec le gamin que j'étais. Je compris le sens des grèves de 17, des mutineries de Champagne et de la lutte qui se poursuivait en Russie. Les contremaîtres, les petits patrons perdirent de leur prestige. En rencontrant les militants syndicalistes, je crus aussi que rien n'empêche un homme d'être un homme. La classe cessa de me paraître une limite dans laquelle s'enfermer. Jamais des ouvriers n'avaient fait sur moi aussi vive impression.

   
 

(Page 91)
Entre nous, il y avait l'école, des gnons, des toupies et des billes. C'était mon meilleur ami. J'étais maintenant un étranger en face d'une grande personne, un homme marié mouleur comme son père. Plus rien entre nous que des nouvelles de nos familles.
De son coté, beaucoup de morts, plus la sienne, celle de l'enfant dans l'adulte. J'étais tombé de sa poche comme un vieux journal. Nous n'avions plus rien à nous dire.


 
  

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