(p182)
On ne devient pas terrassier par hasard, le métier attire les natures indépendantes. Un terrassier s'embauche sans stationner devant un portail dans une file d'humiliés. Il n'a pas à collectionner de certificats pour les présenter au bureau d'un chef du personnel. Il s'embauche sans soulever sa casquette. Quand il se présente à l'embauche, il ne dit pas : " Pardon, s'il vous plaît, monsieur. " Le chef de chantier, c'est un gars comme lui, souvent plus vieux, plus gras, plus rouge de la face. C'est rare qu'il n'ait pas tenu le manche. Il a les épaules larges, il porte aussi le colletin et le largeau. Les deux hommes se toisent. Ils ont vite fait de se connaître.
- Je viens voir si t'as de l'embauche, dit le terrassier de sa voie la plus raide.
Il ne demande pas le travail comme un mendiant l'aumône. Il ne se courbe que pour travailler, pas devant l'homme. Mieux il se tient droit, mieux il travaille.
Si le chef a besoin de main d'oeuvre, son examen fait, il répond :
Mon gars, viens demain si tu veux. Amène ta carte syndicale pour que les copains te laissent travailler.
C'est à peu près ça quand il y a du travail. Le métier attire les natures fières ou rudes. Dans beaucoup de métier, on gagne mieux sa vie en étant moins fort sans être plus malin. Dans ceux-là, on est moins fier qu'un terrassier.

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TRAVAUX

l'auteur

 

(p187)
Ils venaient de la ceinture rouge. Ils élisent des maires et des députés communistes. Ils les nomment par leur prénom. Leurs représentants sont pour eux non des chefs, mais des copains. S'ils ont la bosse de l'admiration, elle s'allie au penchant pour l'égalité. Je ne vois pas devant qui aurait pu baisser le regard l'ancien marin, notre délégué. Il aurait tutoyé le pape s'il l'avait rencontré. C'est une conviction chez eux que l'homme n'est jamais qu'un homme sous n'importe quel costume. Le beau parler ou les discours les éblouissent, ils ne sont pas sans reconnaissance pour la musique des paroles. Mais si l'on en tire trop vanité, si l'on se met au dessus d'eux, ils retrouvent leur fond. Ils savent qu'eux aussi, en allant aux écoles, auraient pu faire dans le monde figure plus avantageuse. Ce ne sont pas des humiliés. Quand on leur porte mépris, ils peuvent le rendre.

 
  

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