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La vie à en mourir

 

Lettres de fusillés (1941-1944)


"Je ne suis qu'un soldat qui meurt pour la france. "

Celestino alfonso naît en 1916 à Itumar Ozaba, en Espagne. sa famille émigre en France alors qu'il est encore jeune. Elevé dans ce pays d'adoption, il se marit, a un petit garçon, et travaille comme ouvrier menuisier. En 1934, il adhère aux Jeunesses communistes, dont il devient le ressponsable pour Ivry. En 1936, il fait partie des premiers engagés dans les Brigades internationales ; arrivé en Espagne le 27 août 1936, il combat comme mitrailleur, puis est nommé commissaire politique de la 2° brigade. A son retour en France, en février 1939, il est interné par les autorités. Il s'évade du camp de St Cyprien, où il était détenu, mais il est mobilisé au début de la guerre dans une compagnie de travailleurs étrangers ...


Il se peut, cher Papa, que toi qui a été meurtri dans ta chair et dans ton coeur par une guerre doublement inutile, tu n'envisageras pas notre attitude sous le même jour, mais comprends, je t'en supplie, que dans mon coeur de vingt ans, dans mon coeur de Français, héritier de cette éducation que vous même m'avez donnée, il y a un élan qui me poussera irrésistiblement vers mon devoir. Voudrais tu qu'on puisse dire que j'ai été un lâche? Ne serait-ce pas gaspiller ces vingt années d'éducation et de soins que de fermer les yeux et les oreilles à l'appel qui se produira?

Cher Papa, je ne changerai rien à tes idées, si elles sont contraires aux miennes ; mais ce n'est pas la peine que je te donne maintenant une assurance que je ne saurais tenir. Non, jamais je ne resterai caché quand le sort de la France se décidera, je penserai alors bien à vous deux que j'aime tant, à ma petite soeur que j'adore, mais je partirai tout de même où mon devoir m'appellera. Où? je ne sais pas encore et ne peux le prévoir.

Je ne suis pas un révolutionnaire de barricades, ni un émeutier, mais mon père s'est battu à Verdun, a souffert dans les tranchées pour que la France vive. Je saurai continuer son oeuvre et participer à cette grande réalisation que vous avez entrevue en 1918. Je veux pouvoir dire plus tard, non pas "J'étais un soldat de l'émeute", mais certainement: "J'étais un soldat de la France."

Jacques Mautret, né à Lyon, fusillé le 4 février 1944 sur le terrain militaire de la Doua (Villeurbanne)


J'espère que cette lettre vous parviendra sans tomber sous les yeux d'autrui. Nous sommes condamnés à mort à cinq, mais j'espère obtenir la grâce, car j''ai écrit au commandant suprême des armées allemandes. Maurice a trahi la cause pour laquelle nous avions juré de sacrifier notre vie s'il le fallait. Il a donné les adresses de nombreux camarades. Ainsi, l a dit "Il ne faut pas arrêter Gary pour le moment". pas mal de copains de ce fait vont être connus. S'ils ne sont pas arrêtés, ils doivent fuir immédiatement...
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Cette lettre est la dernière que je vous écrit. Elle vous parviendra après ma mort et elle va éveiller en vous de douloureux souvenirs. J'ai de la peine à vous écrire.

Je suis resté avec mes camarades jusqu'aù bout. J'aurais pu fuir à Anzinn où j'ai été seul dans le bureau avec une bicyclette à la porte ; j''aurais pu fuir à Loos pendant la visite, je ne l'ai pas fait. Je ne suis pas un lâche ; j'ai accepté la peine infligée et je vais mourir. Papa et maman, ne me pleurez pas, soyez fiers de moi, au contraire.

Mes soeurs, ne m'oubliez pas. Celesta, j''ai vu un prêtre, non pour recevoir un baptème, mais pour qu'il répète de vive voix ce que je t'ai écrit. Il faut que tu vives et que tu sois heureuse. Je le veux. Si plus tard il t'arrivait des déboires, si tu avais de la peine, songe à moi, songe à celui qui t'a aimée en silence, parce qu'il aimait au dessus de tout la femme idéale pour laquelle il va mourir. Il a été très dur pour moi de t'accepter dans ma vie. Rappelle toi ce premier mardi, le 9 ou le 10 septembre. Rappelle toi que j''ai presque pleuré de me lier à quelque chose de matériel. Rappelle toi ce que je t'ai dit du pacte avec Maurice, ce pacte que j'ai tenu malgré ta présence. Que dire, j''ai puisé en toi de nouvelles forces. Je voulais que toute l'humanité soit heureuse pour que tu le sois aussi. Notre beau rêve va s'achever.Je vais retrouver dans la tombe celle que j''ai aimée d'un manière un peu mystique. je revois, en me reportant sept années en arrière, cette figure pâle quelque temps après la mort de son père. Je te revois aussi dans le train en gare de Somain, le jour où je t'ai tiré les cheveux et où tu m'as giflé. Je te revois le 9 septembre 1938, où je t'ai reconduite chez toi et enfin le 6 septembre dernier, et le 16 nous nous sommes vu pour la dernière fois. Notre rêve avait duré dix jours après avoir été en puissance pendant plus de trois ans. Il est dur de rappeler des paroles malheureuses, mais te souviens tu le 9 décembre 1938 : huit à quinze jours comme les autres, pas davantage ? Prophétie qui me tue, qui tua notre avenir. je ne voulais pas regarder le passé. Ne le regarde pas. Vois l'avenir en face, radieux, sûr.

Tu seras heureuse et je serai l'artisan de ton bonheur. Ne pleure pas, car je ne pleure pas au moment où j''écris ces lignes, malgré que je retienne mes larmes. Je meurs jeune, très jeune, il y a quelque chose qui ne meurt pas, c'est mon rêve. Jamais comme à ce moment il ne m'est apparu plus lucide, plus somptueux, plus près de nous enfin. Il y a quelques années, j''ai eu en moi ce sentiment que je ne le verrais pas, mais qu'il se réaliserait très vite après ma mort. L'heure de mon sacrifice est venue, l'heure de sa réalisation approche.

Il m'est dur maintenant de continuer ma lettre, ma main ne tremble pas mais mon coeur est lourd. Je sais trop la peine que je vous fais. Je crains pour la vie de maman, de grand-mère, de Dorothée. Soyez bien fort comme je le suis, comme je le serai dans quelques heures quand les balles me frapperont. Il n'y a point de haine dans mon coeur. J'ai vu des larmes dans les yeux des soldats allemends qui nous gardent. je sais aujourd'hui qu'ils haïssent la guerre. [...]

Essayez d'avoir mes deux carnets de notes. Sur la couverture de l'un, il y a une phrase de Gorki, c'est pour Maurice ; en juillet août 1940, il y a une phrase : " Je n'ai pas le droit d'aimer" : je la laisse à Marguerite X...Sur la couverture de 1941, une phrase de Nietzsche : "Toujours plus haut je veux monter." je la laisse à tous les jeunes épris d'idéalisme. A tous je laisse mon souvenir vivace, mon nom va sonner après ma mort, non comme un glas, mais comme une envolée d'espoir.

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J'ai toujours été traité en soldat par des soldats, je suis sans haine, sans crainte, et si je pouvais avoir l'assurance que vous respecterez ma dernière volonté : soyez heureux de ce que j'ai librement choisi, je serais sans tristesse.


Tu sais, j'ai du courage et ce n'est pas la mort qui me fait peur, c'est de penser à ma pauvre mère qui aura une grande peine, car elle n'a pas eu de chance dans sa vie. Mon père et mes deux frères tués par la guerre, et moi qui vais les rejoindre ; la malchance s'était abattue dans ma famille.


Mais, je me sentais fait un peu autrement que la majorité des jeunes, et j'ai toujours su faire ce que je disais, une fois mes décisions prises. Ce qui fait que je ne regrette rien, que de causer de la peine à mes amis et camarades, à mes parents.


Vous savez bien que je n'ai commis aucun crime, vous n'avez pas à rougir de moi, j'ai su faire mon devoir de Français. je ne pense pas que ma mort soit une catastrophe ; songez qu'en ce moment des milliers de soldats de tous les pays meurent chaque jour, entraînés, dans un grand vent qui m'emporte aussi.


A la liberation...
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J'ai tant aimé la marine, tant pour l'intérêt de la vie à bord et les joies qu'elle m'a procurées, que pour l'amitié des camarades et l'affection des hommes. Je ne l'ai pas quittée, je n'ai pas quitté le Duquesne, le 10 juillet 1940, sans un profond déchirement. Mais ce bateau, comme toute l'escadre, était démilitarisé. Notre gouvernement ne me paraissait plus indépendant. Continuer la lutte, c'était pour moi suivre la voie qui nous avait été tracée. J'ai cherché le moyen de le faire sous le drapeau français : je suis partie pour la Somalie. Quand j'ai vu que les opérations y étaient suspendues, j'ai rejoint les Forces françaises libres. Ce que je veux te dire, c'est que là, comme tous les camarades avec qui je me suis trouvé, je n'ai fait que servir la France et cela d'une façon très indépendante. Nos hôtes le comprenaient parfaitement et n'influençaient sur nous en aucune façon. Pour venir en France, j'ai eu à vaincre une forte opposition, je n'y ai été poussé par personne que moi.
Je crois, mon vieux Pépin, avoir, dans tout ce que j'ai fait, servi la France et la France seule. Je pense que mes amis le comprendront, et qu'on voudra bien me considérer comme mort pour Elle. C'est mon plus cher désir.
Je voudrais t'en dire beaucoup plus sur la destinée que je souhaite à la France : je suis persuadé que nous voyons l'un et l'autre sa rénovation dans la même voie.

 


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Je sais pourquoi je meurs et j''en suis très fier